Séance N° 4 : « L’édition électronique, l’open access et ses conséquences pour l’édition et la traduction (III- les bibliothèques) »

La place des bibliothèques et centres de ressources dans les nouvelles configurations de la production, diffusion et accessibilité des savoirs.

Benjamin Guichard, directeur scientifique de la Bibliothèque universitaire des langues et des civilisations (BULAC)

Voici la présentation Power Point montrée par Benjamin Guichard pendant son intervention:

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La Bibliothèque universitaire des langues et des civilisations (BULAC) a ouvert ses portes en 2011. Issue de l’ancien Bibliothèque interuniversitaire des langues orientales, elle a rassemblé des collections spécialisées en études aréales issues de différents établissements avec la volonté de proposer un centre de ressources exhaustif en langues et civilisations pour tous les établissements intéressés.

Benjamin Guichard a d’abord listé trois définitions de la bibliothèque : dispositif matériel et technique de conservation des livres, collection -donc politique documentaire- et lieu de production de savoirs. Ces fonctions sont aujourd’hui transformées par le développement numérique et l’open access. Au cours des années 1990, on a pu prophétiser que le développement des ressources numériques rendrait les bibliothèques obsolètes ; on constate plutôt que les bibliothèques en tant que lieux restent un besoin confirmé mais que leurs missions se diversifient.

Pour la BULAC, le numérique a ouvert de nouvelles possibilités pour le traitement de collections multilingues mais présente également des difficultés propres. Les collections rassemblées couvrent les langues  et les civilisations de l’Asie, de l’Europe centrale et orientale, de l’Afrique de l’Océanie et de la civilisation amérindienne. 60% des documents sont en langues vernaculaires, c’est-à-dire dans la langue parlée ou écrite sur le terrain étudié. Au total, la BULAC propose des ouvrages en 350 langues et 80 systèmes d’écriture. Compte tenu des disciplines et des territoires couverts, la documentation papier reste privilégiée, avec environ 130 000 livres et 2000 abonnements. Le budget d’acquisition approche 650 000 euros par an, 25% de documents numériques avec, là encore, un effort donné aux ressources de niche en langues vernaculaires.

Les acquisitions et le catalogage sont effectués par des personnels spécialisés (25 personnes). Il existe un personnel permanent pour les domaines géolinguistiques les plus importants ; un système d’entretien périodique par rotation (contrats de 24 mois) permet d’actualiser les fonds de manière régulière dans les domaines géolinguistiques plus limités. Cela permet ainsi de couvrir le plus grand nombre de langues possibles.

Pour acquérir une documentation issue du terrain, il faut s’appuyer sur du personnel maîtrisant ces langues et nouer des relations avec des fournisseurs locaux. Les modes d’achat sont soit de la sélection titre à titre sur des catalogues d’éditeurs et, plus rarement, des commandes bloquées – un fournisseur étant chargé de rassembler la documentation correspondant à un cahier des charges fixé par la bibliothèque. Ce dernier système permet notamment d’organiser des systèmes de collecte de publications qui échappent aux circuits commerciaux courants. Les dons jouent également un rôle important, notamment la documentation collectée par les chercheurs (33% des entrées en moyenne).

Le numérique a modifié le rapport des bibliothèques à leurs collections : les plateformes de ressources électroniques proposent le plus souvent des abonnements, en forfait – la bibliothèque passe d’une logique de sélection au titre à des achats au bouquets, d’une logique de stock qu’elle contrôle à une logique d’abonnement à un flux contrôlé par la plateforme de l’éditeur, avec un risque inflationniste très marqué du coût de ces ressources (jusqu’à 20% / an pour certains éditeurs). Le développement de l’accès ouvert est, entre autres, une réaction à cette situation. Mais la nature de l’offre se diversifie aujourd’hui : des choix au titres sont plus fréquemment proposés, pour les revues comme les livres électroniques, des solutions d’acquisition définitive offrent une alternative à l’abonnement. Mais, même dans ce cas de figure, des frais de maintenance sont le plus souvent facturés.

Actuellement, les dépenses en ressources électroniques de la BULAC représentent environ 25% de son budget d’acquisition ; elles se répartissent à un tiers en abonnements, un tiers en achat pérenne de ressource et pour un tiers en frais de maintenance des plateformes de diffusion des éditeurs. La BULAC développe cette offre numérique avec prudence : la priorité est donnée aux achats pérennes pour éviter la tendance inflationniste des abonnements et par ailleurs l’offre est très inégale selon les domaines géolinguistiques. En outre, il n’y a pas de politique de substitution systématique des ressources imprimées par leur version en ligne : la conservation des premières reste moins coûteuse et, dans les régions instables politiquement, il est difficile de faire confiance à la pérennité et à la fiabilité de l’hébergement par un éditeur tiers, soumis aux pressions politiques locales.

L’établissement s’engage résolument pour le développement de l’open access, l’auto-archivage et la dissémination par l’auto-archivage. Quel rôle peut jouer la bibliothèque universitaire dans ce processus ? Elle est au cœur du travail de médiation,  elle peut permettre la valorisation des outils numériques et la connaissance de l’architecture de l’information. En effet, la recherche d’informations sur internet à l’aide des moteurs de recherche commerciaux (type Google) n’est pas neutre, elle est orientée par les données personnelles de l’utilisateur. La bibliothèque peut devenir un lieu d’éducation informationnel et proposer des outils de recherche plus scientifiques  (par exemple des outils de moissonnage institutionnel comme Base search (https://www.base-search.net/?l=fr)

Du côté du signalement des collections sur le web, l’utilisation de l’unicode a considérablement amélioré l’accès aux ressources en langues non occidentales, en permettant de systématiser le signalement dans l’écriture originale du document, doublée par une translittération. La forme du catalogage change également. On parle de “web sémantique” pour désigner l’effort de connecter les descriptions des bibliothèques avec les données du web en s’appuyant sur des référentiels ouverts qui permettent de lier des données issues de différentes sources du web ; le travail mené par la BNF avec son portail data.bnf.fr en est un exemple abouti. Cette logique du signalement est précieuse pour la valorisation des documents multilingues : elle permet de faciliter la hiérarchisation des informations entre une oeuvre et ses traductions par exemple, entre les expressions d’un concept (un nom de lieu, un nom de personne, un mot sujet) entre différentes langues et systèmes d’écriture. Il y a là un immense chantier d’ouverture des catalogues de bibliothèque sur le web et d’articulation entre données hétérogènes qui reste encore peu visible du public mais qui riche de nouveaux services pour les utilisateurs.

L’intervention de Benjamin Guichard fait suite à une rencontre intitulée A la table du traducteur organisée entre la BULAC et les éditions de l’EHESS le 18 décembre 2014 dans le cadre du cycle Sciences sociales „d’ailleurs“. L’enregistrement audio de la soirée est disponible en cliquant sur l’image ci-dessous :

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